Glottophiles et polyglottes

«Trop polis (de la glotte) pour être honnêtes?»


Ma romance en romanche
Commence en comanche,
Histoire de petits Suisses en file indienne !
La recette du risotto en sotho
et en mandingue me rend complètement dingue !
J'ai vu Gatsby en batsbi
et lu Swann en svane !
Liberté, j'écris ton nom au Bic en oubykh
Et dans toutes les langues !
Mbum, quand notre cœur fait mbum, tout avec lui dit mbum !

Parlez-vous russe ?
Je parle nouichto et akakgé.




Nous voudrions évoquer ici plusieurs figures majeures de la linguistique, (hyper)polyglottes et gourmands glottophiles, et souvent russophiles avisés, dont l'œuvre et la passion nous inspirent.

«Même chez les glossophiles qui paraissent n'aimer les langues que comme des fins en soi, la jubilation collectionneuse s'alimente de la quête d'une différence. Sous l'infinie diversité des langues, c'est celle des cultures qui fascine. Les langues appartiennent aux sociétés qui les parlent, et entrent dans la définition de ces sociétés. Pour chaque culture, toute autre est source d'étonnement, que son exotisme éveille l'intérêt ou qu'il suscite la méfiance. L'amoureux des langues est épris d'altérité. Celle des cultures à travers celle des langues.» (L'homme de paroles, Paris, Fayard, 1985, p. 294.)

Ancien élève de l'École normale supérieure, licencié ès lettres classiques, en linguistique générale, en chinois et arabe, diplômé d'études supérieures d'arabe, diplômé d'hébreu, de chinois et de russe de l'Institut national des langues et civilisations orientales, agrégé de lettres classiques (et de philosophie?), docteur en linguistique, Claude Hagège (né en 1936) a des connaissances dans une cinquantaine de langues (il en parle une dizaine couramment: l'anglais, l'allemand, l'italien, le japonais, le chinois, le russe, l'arabe - littéraire et tunisien, l'hébreu), parmi lesquelles l'espagnol, le portugais, le hongrois, le guarani, le quechua, le navajo, le nocte, le hindi, le pendjabi, le tamoul, le persan, le malais, le malgache, le peul, le tetela, le turc. Il a étudié sur le terrain les langues mundang (Tchad), tuburi, guidar, guiziga (Cameroun), le parler occitano-pyrénéen de la vallée de Barèges, le patois du Poitou et de la Charente, l'arabe tchadien, le créole haïtien, le tcherkesse abzakh (Caucase), le chinantec (Mexique), le kaqehitel (Guatemala), le bachkir. Il est l'auteur de monographies sur les langues mbum, tikar, comox, palau, de nombreux ouvrages de linguistique ainsi que d'essais sur le français. Médaille d'or du CNRS, après une brillante carrière de professeur d'université et de chercheur (au CNRS et comme linguiste de terrain), il est professeur honoraire au Collège de France.
Il donne un aperçu de ses amours glottophiliques dans son Dictionnaire amoureux des langues.
Il est aujourd'hui conférencier international et est devenu, à l'instar de Jacques Capelovici, un ardent défenseur du français!

Claude Hagège, grand russophile, défend l'enseignement de la langue russe:
«La menace que fait peser sur le russe, plus encore que sur les autres langues d’Europe, la pression de l’anglais, est inacceptable. Il n’y a aucune sorte de raison pour qu’on ne propose pas aux familles un large choix de langues au lieu de les maintenir désinformées des possibilités réelles. La disparition du russe dans les établissements d’enseignement secondaires est, à brève échéance, une menace pour les relations entre la France et la Russie dans tous les domaines. Il est à souhaiter que les autorités responsables en prennent enfin conscience.»
Rappelons le témoignage de René L'Hermitte, dans son compte-rendu de L'homme de paroles (Revue des études slaves, Paris, Institut d'études slaves, année 1986, 58-1, p. 102):
«Parmi les innombrables langues dont, comme ces glossophiles qu'il vient de décrire, il a entrepris la conquête, Claude Hagège a rencontré les langues slaves et singulièrement le russe. Encore une fois il ne s'est pas contenté d'une connaissance de seconde ou de troisième main. Il s'est entraîné à la pratique et chaque fois qu'il rencontre un russophone, voire un simple russisant, il s'applique, comme il le ferait pour l'arabe ou le chinois, à s'exprimer dans cette langue. Ajoutons que si notre mémoire ne nous trahit pas, il a suivi, il y a près d'un quart de siècle, les enseignements de vieux slave donnés par le regretté Jacques Lépissier aux Hautes Études.»

De la beauté des langues

On ne saurait manquer de mentionner l'immense linguiste roumain Eugeniu Coseriu (1921-2002), docteur ès lettres et docteur en philosophie, philologue romaniste, philosophe mondialement connu du langage et concepteur d'une théorie linguistique originale et "globale", d'inspiration aristotélicienne et humboldtienne.
Ce grand savant était en outre polyglotte: il avait appris seul et rapidement (initialement pour lire la poésie en langue originale), outre le latin et le grec, le français, l'italien, l'espagnol, l'anglais, l'allemand, le suédois, le bulgare, le croate, le hongrois, le persan et l'hébreu et rédigea son œuvre dans pas moins de 6 langues!

Maurice Coyaud (1934-2015) était licencié de langues classiques, de russe, de chinois, diplômé d'études supérieures de langues classiques, de russe, docteur d'État en linguistique, diplômé de mongol, birman, tagalog de l'Institut national des langues et civilisations orientales, spécialiste de coréen, japonais et thaï. Il a été directeur de recherche au CNRS, président de la Société de linguistique de Paris, professeur de linguistique à l'université, professeur de chinois à l'INALCO, de japonais à l'École polytechnique, inspecteur de chinois et professeur à l'École des hautes études en sciences sociales (langues altaïques de Chine). Il a étudié des langues aussi diverses que le yi, le qiang, le lisu, le miao, le hiai, le geleao, l'ouïghour, le salar, le monguor, l'elunshun, le jing, l'akha, le muang, le lao, le shan, le khun, le kazakh, l'ouzbek, l'aïnou, le naxi, le tupuri, l'amharique, le vietnamien, l'indonésien, les langues polynésiennes.
Il a publié de nombreux essais, romans, anthologies, traductions.
On lui doit le remarquable essai: Faune et flore dans la poésie russe (P.A.F. Pour l'analyse du folklore, 1991).
Il livre ses mémoires de grand voyageur glottophile dans son livre L'homme qui volait au-dessus des arbres.



Mentionnons encore l'étonnant voyageur et glottomane Jean-Pierre Minaudier.
«Jean-Pierre Minaudier n’est pas un homme ordinaire. Cet amateur de mots est victime d’une terrible addiction: il possède une des plus grandes bibliothèques personnelles au monde de grammaires et s’en nourrit comme d’autres lisent des poèmes et des BD (qu’il lit aussi). Dans Poésie du gérondif, armé de ses quelques 1 186 grammaires, concernant plus de 800 langues, il nous raconte avec humour et quantité d’exemples pourquoi chaque langue véhicule une vision particulière de l’univers...
Né en 1961, ancien élève de l’École normale supérieure et historien de formation, Jean-Pierre Minaudier  s’est découvert sur le tard un amour pour les langues rares. Depuis, il enseigne le basque à la Maison basque de Paris et l’estonien à l'INALCO (il est chargé de cours d’histoire estonienne et de traduction littéraire depuis l’estonien, qu’il traduit aussi, on lui doit notamment la version française de L’Homme qui savait la langue des serpents, d’Andrus Kivirähk) et jongle compulsivement avec les centaines d’autres idiomes qui nichent dans sa bibliothèque.» (Éditeur.)

La recherche de la complexité et de la structure exceptionnelle est au cœur de la passion d'un Minaudier. Je partage cet engouement.
Bien qu'il y ait de nombreuses langues complexes dans le monde (et la complexité est un concept tout relatif) – l'irlandais, le sanskrit ou le navaho sont complexes tant sur le plan phonétique que grammatical, et certaines langues africaines, amazoniennes ou papoues ont des structures très inhabituelles – les langues suivantes peuvent être considérées comme des championnes:
les systèmes phonétiques les plus complexes du monde se rencontrent dans la langue caucasienne du Nord-Ouest oubykh (éteinte) et les langues khoïsan d'Afrique du Sud (langues à clics), mais aussi dans les langues salish du Nord-Ouest Pacifique (la province canadienne de Colombie britannique et les États américains de Washington, Oregon, Idaho et Montana), caractérisées par d'incroyables groupes consonantiques (mots sans voyelles – le berbère est aussi réputé pour ce phénomène);
l'archi, une langue caucasienne du Nord-Est, possède un système phonétique très complexe mais aussi une morphologie extrême. Un verbe latin a environ 150 formes. Un verbe archi en a 1,5 million!
Sinon, on trouve les morphologies les plus complexes dans les langues caddoan des Plaines d'Amérique du Nord (notamment le pawnee et l'arikara) et les systèmes sémantiques les plus complexes dans les langues aborigènes d'Australie.
Ci-après une petite vidéo que nous fîmes pour la chaîne YouTube il y a une quinzaine d'années.

De nombreux linguistes sont aussi polyglottes (comme Claude Hagège) – quoique pas nécessairement ni obligatoirement, ainsi le grand A.-G. Haudricourt disait ne parler aucune langue! – il traduisait du russe et lisait l'anglais, l'allemand et l'espagnol mais ne parlait (ou n'accordait pas d'intérêt à la réalisation orale d')aucune des nombreuses langues difficiles – le plus souvent tonales (miao-yao, mon-khmer, tai-kadai) – qu'il avait étudiées (il était tout de même diplômé de l'INALCO en mélanésien, siamois et laotien et auteur de travaux majeurs sur l'origine des tons du vietnamien et du chinois archaïque, lisait le japonais et écrivait le chinois, avait étudié le géorgien, donna des esquisses de descriptions de langues amérindiennes (delaware, youma, tchipéwayan, yokouts, yamana) et fit d'innombrables articles et comptes rendus d'ouvrages sur le tcherkesse, le karen, les langues austronésiennes et papoues, le navaho, le wayapi, les dialectes et patois français, l'occitan ou le gascon...). Il collabora notamment avec Claude Hagège et Maurice Coyaud.

Georges Dumézil (1898-1986), qu'on ne présente plus, qui fut le maître de Georges Charachidzé et de Claude Hagège, connaissait 30 langues, dont plusieurs à la perfection: le grec ancien, le latin, l'arabe, l'allemand, l'anglais, le persan, le sanskrit, le polonais, le russe, le turc, l'ossète, l'oubykh (qu'il sauva de l'extinction), l'abkhaze, le tcherkesse, le laze, le géorgien, l'arménien, le suédois, le quechua, le khmer, le vieux-norrois. Toutefois, comme il le précisait, il ne "parlait" aucune de ces langues, si ce n'est le turc! Sa méthode: un texte bilingue, accompagné d'une grammaire. Il racontait avoir appris suffisamment de hongrois pour lire un roman en l'espace de quelques semaines. Sur la fin de ses jours, il avait découvert le fon, langue africaine.

Le grand linguiste norvégien Hans Vogt (1903-1986) étudia le français en France, la philologie classique, le latin, puis l'arménien, l'ossète, et le géorgien, dont il devint l'un des grands spécialistes internationaux. Spécialiste des langues kartvéliennes (notamment du laze), il étudia aussi le kalispel, une langue salish, et le bourouchaski, un célèbre isolat du Pakistan. Enfin, il fut l'un des continuateurs, après Dumézil, de l'exploration de la fabuleuse langue oubykh.
Bref, un spécialiste des langues les plus complexes qui soient!

Ananda Coomaraswamy (1877-1947), historien mondialement connu de l'art et des religions, et minéralogiste, connaissait 36 langues, dont le français, l'allemand, l'anglais, le finnois, le hindi, le sanskrit, le pali, le grec, le latin, l'italien, le gaélique, l'islandais, le persan, le chinois, le sogdien.


Paul Pelliot (1878-1945), le célèbre linguiste, sinologue et tibétologue, professeur au Collège de France, parlait 13 langues, à commencer par le chinois. Il fut l'élève de l'indianiste Sylvain Lévi et de l'archéologue Édouard Chavannes.
La plus fameuse de ses missions est celle de 1906 à 1908 dans le Turkestan chinois: parti en train de Paris le 17 juin 1906 pour Saint-Pétersbourg avec deux compagnons de voyage, le docteur Louis Vaillant et le photographe Charles Nouette, Pelliot retrouve fin juillet 1906, suivant les ordres militaires, à Boukhara, le colonel finlandais Gustaf Mannerheim, officier de l'armée impériale russe, en mission d'espionnage pour le tsar Nicolas II, lequel avait des visées territoriales sur l'ouest chinois. Associés pendant trois mois, leur route se séparera fin octobre 1906 à Kashgar.
Ses talents de linguiste lui permirent de sélectionner les manuscrits les plus intéressants: plusieurs milliers de manuscrits antérieurs au xie siècle; un ensemble de 3000 feuilles d'estampage d'inscription lapidaire et une collection de livres chinois de plus de 2000 titres (plus de 30 000 fascicules). De retour à Paris le 24 octobre 1909, il étudia ces précieux manuscrits religieux bouddhistes et profanes, rédigés en chinois, tibétain, sanscrit, koutchéen, khotanais, sogdien et ouïgour.

Le célèbre islamologue et historien des religions japonais Toshihiko Izutsu (1914-1993) parlait couramment plus de 30 langues, dont l'arabe, le persan (il enseigna en persan à l'Institut iranien de philosophie, anciennement Académie impériale iranienne de philosophie, à Téhéran), le sanskrit, le pali, le chinois, le russe et le grec.
En 1958, il termina la première traduction directe du Coran en japonais. Sa traduction est toujours réputée pour sa précision linguistique et largement utilisé pour les travaux d'érudition. Il était très doué dans l'apprentissage des langues étrangères, et termina la lecture du Coran un mois après avoir commencé à apprendre l'arabe!

Aurélien Sauvageot (1897-1988), grand défenseur de la langue française, germaniste, maître des études finno-ougriennes, écrivit en outre sur le gotique, le tchouvache, le tahitien, l'eskimo, le youkaguire, les langues samoyèdes.

Mentionnons encore le remarquable linguiste et phonéticien pionnier René Gsell (1921-2000), rencontré dans un séminaire sur le tcherkesse, au savoir inépuisable. Agrégé de grammaire et docteur en linguistique, il connaissait l'allemand, l'anglais, l'italien, le grec, le latin, l'ancien français, les parlers romans des Vosges, le provençal, le gothique, le vieux norrois, le sanskrit, le hindi, le vieux perse, le russe, le roumain (étudié avec Marcel Ferrand), le breton, le thaï, le vietnamien, le khmer, le chinois, l'abzakh, l'éwé, le kikongo, l'albanais...

Enfin, rendons hommage à un très grand amoureux des langues, que nous eûmes la chance d'avoir comme voisin rue Taine, à Paris, et que nous croisâmes aussi aux Langues O', le diplomate et polyglotte extraordinaire Hugues Jean de Dianous de la Perrotine (1914-2008). Licencié en histoire-géographie, diplômé de l'École des chartes, archiviste paléographe, il suivit divers cours de langues à la Sorbonne, à l'École pratique des hautes études, à la faculté des langues orientales de l'Institut catholique de Paris et à l'École des langues orientales, dont il fut diplômé en estonien, finnois, hongrois, berbère, birman, siamois. Il fut secrétaire-interprète de chinois au ministère des Affaires étrangères. Secrétaire puis conseiller d'ambassade, ou encore consul, il eut l'occasion, au cours de ses voyages, d'apprendre de très nombreuses langues.
Répondant en 1971 à un questionnaire (il avait alors cinquante-six ans), il déclarait connaître plus ou moins bien quarante-six langues, dialectes ou patois, ne se limitant pas aux langues des pays où il avait séjourné: turc, grec ancien et moderne, grec chypriote, latin et latin médiéval, italien, chinois classique et moderne, hongrois, finnois, estonien, berbère, siamois, birman, suédois, malais, japonais, swahili, arménien classique et occidental moderne, géorgien, tamoul, mongol, anglais, allemand, russe, provençal («sa langue familiale et ancestrale»), dialecte persan de Kaboul, pachtoun, arabe, hébreu, gallois et notions d’irlandais, espagnol et judéo-espagnol de Turquie, portugais, roumain et lithuanien (il signalait un manque de pratique dans quelques-unes de ces langues!). Il ajoutait qu’il avait des notions assez développées en néerlandais, danois et norvégien, albanais, serbo-croate et sanskrit. Sa bibliothèque était également riche entre autres de dictionnaires et de grammaires d'égyptien pharaonique, copte, araméen, comanche, wolof, de langues aborigènes d’Australie, etc.
Sa connaissance incomparable des langues lui permettra d’entamer en 1980, la retraite venue, une nouvelle carrière comme traducteur extérieur en une vingtaine de langues pour les services de la traduction et de l’interprétation, et pour celui des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, activité qu’il poursuivra jusqu’au début des années 2000, soit à près de quatre-vingt-dix ans. En 1987, il deviendra également traducteur pour le ministère de l’Intérieur. En 1981, il sera secrétaire général du Centre d’études préparatoires aux organisations internationales et secrétaire du Centre d’études baltes (dépendant de l’Inalco). Ses fonctions de diplomate et l’étude de nouvelles langues auraient dû lui laisser peu de loisirs pour écrire. Il n’en fut rien: il a publié quelque soixante-cinq articles et recensions. Sa rapidité d’esprit, ses facilités de rédaction lui ont permis de publier ouvrages, articles, communications, comptes rendus, postfaces, etc., portant sur ses thèmes de prédilection. Il a notamment écrit sur le songhay, le letton et le tagalog...

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À l'étranger, nous restons impressionné par les personnalités suivantes:

Stephen Wurm (1922 - 2001) (évoqué dans ses mémoires par Jean d'Ormesson), professeur émérite de linguistique à la Australian National University de Canberra, connaissait 48 langues, dont de nombreuses langues de Papouasie Nouvelle-Guinée qu'il considérait comme les plus difficiles. Intéressé par les langues dès son enfance, il en parlait neuf arrivé à l'âge adulte. Avant l'âge de 40 ans, il parlait couramment 5 langues germaniques, 5 langues romanes, 3 langues slaves, l'arabe, le swahili, le turc, l'ouzbek, le mongol, le chinois, le tok pisin et le police motu, et pouvait se débrouiller dans 30 autres langues. Il est à noter toutefois que Dixon (évoqué plus bas) l'a sévèrement critiqué dans son autobiographie, allant jusqu'à le traiter de "charlatan"! Mais Dixon lui-même n'est pas exempt de critiques de la part de linguistes éminents...

Kenneth Hale (1934-2001), professeur de linguistique au Massachusetts Institute of Technology, parlait une cinquantaine de langues (dont plusieurs langues aborigènes, telles que le warlpiri, l'aranda, le kaititj, le warramunga, plusieurs langues amérindiennes, telles que le hopi, le navajo, le wampanoag, le tohono o'odham, le papago, le nahuatl, mais encore le polonais, le basque, le gaélique, le turc). Sensible aux langues menacées, il alla même jusqu'à éduquer deux de ses enfants en warlpiri!

Citons encore:

L'historien britannique Donald Kenrick (1929-2015) était capable de traduire depuis plus de 60 langues, et en parlait une trentaine, la plupart couramment. Il maîtrisait toutes les langues scandinaves, aussi bien que l'hébreu, le yiddish, et le dialecte drindari du tsigane.

Robert Dixon (1939-), linguiste anglo-australien, s'est intéressé, outre les langues et les cultures aborigènes australiennes (dyirbal, yidiñ, warrgamay, nyawaygi, mbabaram), au fidjien boumaa, aux langues amazoniennes, dont le jarawara.
Sa compagne (d'origine russe) Alexandra Aikhenwald dit parler le yiddish (langue de ses grands-parents), le français, l'espagnol, le portugais, l'allemand, avoir étudié l'italien, le hittite, le sanskrit, l'akkadien, le lituanien, le finnois, le hongrois, l'estonien, l'arabe, l'hébreu moderne et classique, les langues berbères (sur lesquelles elle a fait un doctorat en ex-URSS), le grec ancien, et aussi parler cinq langues amazoniennes, dont deux langues arawak, le warekana et le tariana (dont elle a écrit une grammaire et un dictionnaire bilingue portugais-tariana) ou encore le tok pisin et le manambu (sur lequel elle a écrit une grammaire), deux langues de Papouasie.

David Perlmutter (1938-), professeur de linguistique à l'Université de Californie, à San Diego, connaît 55 langues, européennes, asiatiques et amérindiennes.

Rolf Theil Endresen (1946-), professeur de linguistique norvégien, connaît plus de 50 langues, parmi lesquelles le chinois, le lapon, le peul, le haoussa (il a même enseigné dans ces deux langues africaines).

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On ne saurait conclure sans évoquer le célèbre cardinal Giuseppe Mezzofanti (1774-1849), le plus polyglotte des polyglottes.
Voici les langues qu'il connaissait:
I. Langues fréquemment utilisées, et parlées avec une rare excellence:
hébreu, hébreu rabbinique, arabe, chaldéen, copte, arménien classique, arménien moderne, persan, turc, albanais, maltais, grec ancien, grec moderne, latin, italien, espagnol, portugais, français, allemand, suédois, danois, néerlandais, flamand, anglais, illyrien, russe, polonais, tchèque, hongrois, chinois
II. Déclarées pour avoir été parlées couramment, mais insuffisamment utilisées:
syriaque, guèze, amharique, hindoustani, gujarati, basque, roumain, californien (?), algonquin
III. Parlées rarement, et moins parfaitement:
kurde, géorgien, serbe, bulgare, romani, môn, gallois, angolese (kimbundu?), nahuatl, mapudungun, quechua
IV. Parlées imparfaitement:
singhalais, birman, japonais, irlandais, gaélique, ojibwé, breton
V. Étudiées à partir des livres, mais non connues pour avoir été parlées:
sanskrit, malais, tonquinese (tonkinois = vietnamien du nord ?), vietnamien, tibétain, japonais, islandais, same, ruthène, frison, letton, cornique, ancien quechua, bambara
VI. Dialectes parlés, ou leur particularités comprises:
1. hébreu (samaritain)
2. arabe (syrien, égyptien, maure)
3. chinois (kiang-Si(?), hu-quam(?))
4. italien (sicilien, sarde, napolitain, bolonais, lombard, frioulan)
5. espagnol (catalan, valencien, dialecte de Majorque)
6. basque (labourdin, souletin, guipuscoan)
7. hongrois (debreczeny, eperies, pesth, transylvanien)
8. allemand (gotique, dialectes de nord et du sud de l'Allemagne)
9. français (provençal, bourguignon, gascon, béarnais, lorrain)
10. anglais (dialectes du Somersetshire, Yorkshire, Lancashire, et Lowland scotch)

Ci-après un extrait de sa biographie par Charles William Russell (1863), consacré au russe:

"To begin with Russian. A traveller of that nation who twice visited him about this time, cited by Mr. Watts, describes him as "a phenomenon as yet unparalleled in the literary world, and one that will scarce be repeated, unless the gift of tongues be given anew, as at the dawn of Christianity."
Cardinal Mezzofanti," he writes, "spoke eight languages fluently in my presence: he expressed himself in Russian very purely and correctly; but, as he is more accustomed to the style of books than that of ordinary discourse, it is necessary to use the language of books in talking with him for the conversation to Row freely. His passion for acquiring languages is so great, that even now, in advanced age, he continues to study fresh dialects. He learned Chinese not long ago; and is constantly visiting the Propaganda for practice in conversation with its pupils of all sorts of races. I asked him to give me a list of all the languages and dialects in which he was able to express himself, and he sent me the name of GOD written in his own hand, in fifty-six languages, of which thirty were European, not counting their subdivision of dialects, seventeen Asiatic, also without reckoning dialects, five African, and four American. In his person, the confusion that arose at the building of Babel is annihilated, and all nations, according to the sublime expression of Scriptures, are again of one tongue. Will posterity ever see anything similar? Mezzofanti is one of the most wonderful curiosities of Rome.
In the end of the year 1845, Nicholas, the late Emperor of Russia, (who of course is an authority also on the Polish language,) came to Rome, on his return from Naples, where he had been visiting his invalid Empress. The history of his interview with the Pope, Gregory XVI., and of the apostolic courage and candour with which, in two successive conferences, that great pontiff laid before him the cruelty, injustice, and impolicy of his treatment of the Catholic subjects of his empire, is too well known to need repetition here. It was commonly said at the time, and has been repeated in more than one publication, that the Pope's interpreter in this memorable conference was Cardinal Mezzofanti. This is a mistake. The only Cardinal present at the interview was the mild and retiring, but truly noble-minded and apostolic, Cardinal Acton.
A few days, however, after this interview, M. Boutanieff, the Russian minister at Rome, wrote to request that Cardinal Mezzofanti would wait upon the Emperor; and a still more direct invitation was conveyed to him, in the name of the Emperor himself, by his first aide-de-camp. The Cardinal of course could not hesitate to comply. Their conversation was held both in Russian and in Polish. The Emperor was filled with wonderland confessed that, in either of these languages it would be difficult to discover any trace of foreign peculiarity in the Cardinal's accent or manner. It is somewhat amusing to add, that the Cardinal is said to have taken some exceptions to the purity, or at least the elegance, of the Emperor's Polish conversational style."


Extrait de: Adieu Babel de Michael Erard (2012, trad. fr. Assimil, 2016)

Outre Mezzofanti, il faut citer aussi plusieurs hyperpolyglottes et traducteurs qui se sont largement distingués par leur glottomanie.

Le polymathe écossais James Crichton (1560-1582) parlait, à l'âge de seize ans, dix langues, et, à l'âge de vingt, en connaissait dix autres. Mais le fait le plus patent que nous ayons à son sujet vient de sa célèbre thèse soutenue à l'Université de Paris en douze langues – hébreu, syriaque, arabe, grec, latin, espagnol, italien, français, anglais, allemand, flamand et vieux slave.

Le grand orientaliste anglo-gallois Sir William Jones (1746-1794) parlait 13 langues et en connaissait 28 autres, dont l'arabe, le persan, l'hébreu, le français, l'italien, l'espagnol, le portugais, le latin, le grec, le chinois, le sanskrit.

Le linguiste et orientaliste français Antoine-Isaac Silvestre de Sacy (1758-1838) (dont une sympathique descendante enseigne le russe!) apprit seul l'hébreu, le syriaque, le samaritain, le chaldéen, l'arabe, le persan, le turc, l'anglais, l'allemand, l'italien et l'espagnol.

En 1806, le grand lexicographe anglais Noah Webster (1758-1843) publia son premier dictionnaire de la langue anglaise. En 1807, Webster commença à compiler un dictionnaire étendu et très complet, le dictionnaire américain de la langue anglaise qui lui prit vingt-six ans. Pour évaluer l'étymologie des mots, Webster apprit vingt-huit langues, dont le vieil anglais (anglo-saxon), le gothique, l'allemand, le grec, le latin, l'italien, l'espagnol, le français, le néerlandais, le gallois, le russe, l'hébreu, l'araméen, le persan, l'arabe et le sanskrit.

Le grand philosophe allemand Wilhelm von Humboldt (1767-1835) a écrit des grammaires de 60 langues. Il connaissait de nombreuses langues amérindiennes, le basque, et s'est rendu célèbre pour son ouvrage sur le kawi de Java.

L'orientaliste britannique John Leyden (1775-1811) disait connaître 70 langues, parmi lesquelles le français, l'espagnol, l'italien, l'allemand, l'islandais, l'arabe, le persan, le malais et plusieurs langues de l'Inde.

L'homme d'État et historien danois et allemand Barthold Georg Niebuhr (1776-1831) connaissait à divers niveaux 20 langues: l'allemand, le latin, le grec ancien, l'hébreu, le danois, l'anglais, le français, l'italien, le portugais, l'espagnol, l'arabe, le persan, le néerlandais, le suédois, le russe, le vieux slave, le polonais, le tchèque, l'albanais et le bas allemand.

Le grand philologue et orientaliste hongrois, fondateur de la tibétologie, Alexandre Csoma de Kőrös (1784-1842) maîtrisait 20 langues, dont le latin, le grec ancien, l'allemand, le français, l'anglais, le russe, l'hébreu, l'arabe, le turc, le sanskrit, le persan, l'hindoustani, le bengali, le pachtoune, le mahrati et le roumain.

Le célèbre philologue danois Rasmus Christian Rask (1787-1832) était réputé connaître, à l'âge de 35 ans, 25 langues (parmi lesquelles l'islandais, le russe, le persan, le hindi, le gothique, le lithuanien, le vieux slave, le grec, le latin, le lapon, le frison, l'italien, l'espagnol).

Friedrich Johann Michael Rückert (1788-1866), poète, traducteur, orientaliste et professeur, fut un auteur prolifique (sous son propre nom ou sous pseudonyme) de poèmes lyriques (certains ont été mis en musique par Mahler, Schumann, Schubert, Liszt, Brahms, Strauss... – il est le poète allemand le plus comparé à Hugo), de poèmes pour almanach, d’aphorismes, de chansons enfantines, de contes et d’épopées historiques et bibliques, et d’autre part de traductions ou transpositions d’œuvres des littératures orientales, principalement arabe et persane, et aussi chinoise.
Très doué pour les langues (il en maîtrisera plus d’une quarantaine), il apprit le persan à Vienne auprès de Joseph von Hammer-Purgstall, et s’initia ensuite lui-même à d’autres langues orientales et, à travers ses traductions ou tranpositions d’œuvres principalement arabes et persanes, sut introduire en Allemagne la mythologie et la poésie non seulement arabe et persane, mais aussi indienne, chinoise, etc. Il enseigna à partir de 1826 les langues et littératures orientales à l’université d’Erlangen puis de Berlin, avant de se détourner de la carrière universitaire pour se vouer à l’étude et à l’écriture.
Il a écrit: «Chaque fois que tu apprends une nouvelle langue, tu libères / Un esprit jusque-là en toi ligoté, / Qui à présent devient actif avec son propre cadre de pensée / Et te dévoile une façon inconnue de ressentir le monde.
(Mit jeder Sprache mehr, die du erlernst, befreist / Du einen bisdaher in dir gebundnen Geist, / Der jetzo thätig wird mit eigner Denkverbindung / Dir aufschließt unbekannt geweßne Weltempfindung)»
Rückert apprenait les langues étrangères avec une grande facilité. Il apprit en tout 44 langues et 25 systèmes d’écriture différents. Il a été dit qu’il ne lui fallait pas plus de six semaines pour apprendre une nouvelle langue.
Friedrich Rückert travailla, que ce fût en les traduisant, en les enseignant ou en les étudiant scientifiquement, sur les 44 langues suivantes:
albanais, slavon d’église, anglais, français, gotique, grec ancien, italien, latin, letton, lituanien, grec moderne, portugais, russe, suédois, espagnol,
pachtoune, arménien, avestique, hindi, kurde, persan, pali, prâkrit, sanscrit,
arabe, éthiopien classique, araméen biblique, hébreu, maltais, samaritain, syriaque, berbère, copte,
azéri, tchaghataï, turc,
estonien, finnois,
kannada, malayalam, tamil, télougou,
hawaïen, malais.

Sir John Bowring (1792-1872), politicien et écrivain anglais, avait appris le latin, le français, l'italien, l'espagnol,
le portugais, l'allemand, le néerlandais, le russe, le serbe, le tchèque, le polonais, le hongrois, le slovaque, le suédois, le danois, l'islandais, le letton, le finnois, le basque, l'arabe, le turc, le chinois et l'anglais. Il publia des traductions en 30 langues. Il est réputé avoir compris 200 langues et en avoir parlé une centaine.

Louis-Augustin Prévost (1796-1858), originaire de Troyes, vécut en l’Angleterre où, professeur de langues à Londres, il eut Charles Dickens comme élève. Émule de mezzofanti, il parlait plus de 40 langues. Il fut conservateur au British Muséum où il s'occupait notamment du catalogue des livres chinois. Le moyen qu’il employait pour étudier les langues consistait à lire in extenso des dictionnaires et des traductions de la Bible. Tout en enseignant, il étudiait les langues. Le chinois fut sa langue de prédilection, mais il s'intéressa à tous les idiomes d’Europe, d’Asie et de Polynésie: notamment le mongol, le mandchou, le japonais, l'arabe, l'arménien, l'hébreu, le chaldéen, le syriaque, le gaélique, le gallois, l'écossais, le basque, le russe, l'albanais, le valaque, les langues scandinaves, etc.

Le sinologue et philologue allemand Hans Georg von der Gabelentz (1807-1874) connaissait 84 langues et en parlait couramment 24. Il est connu pour ses travaux sur les langues mélanésiennes.
Il apprit seul le néerlandais, l'italien et le chinois au cours de ses années de lycée. Puis il apprit le mandchou, le japonais, le mongol, le tibétain, le malais, le syriaque, le finnois et plusieurs langues amérindiennes. En 1860 il publia une monographie sur le passif en 209 langues.

Friedrich Engels (1820-1895) était également un polyglotte accompli qui maîtrisait le français, l’anglais, l’espagnol, l’italien, le portugais, le gaélique irlandais, le russe, le polonais, le dialecte milanais, le gothique, le vieux norrois et le vieux saxon. Il a de plus étudié l’arabe et la légende prétend même qu’il aurait appris le persan en trois semaines! Ses amis affirmaient en se moquant qu’il savait bégayer en 20 langues différentes. Mais loin de se laisser démonter par ces malicieuses plaisanteries, ce polyglotte avait toujours le dernier mot – en au moins douze langues différentes!

Le grand explorateur et archéologue (découvreur de la cité de Troie) Heinrich Schliemann (1822-1890) avait appris seul plusieurs langues anciennes et orientales. Il parlait notamment le français, le hollandais, l'espagnol, l'italien, le portugais, le latin, le grec moderne et ancien, le suédois mais aussi l'arabe, le chinois, le russe et le polonais grâce à une méthode singulière: l'apprentissage par cœur d'une œuvre littéraire en version originale.

Georg Julius Justus Sauerwein (1831-1904) a été le plus grand prodige linguistique de son temps, il maîtrisa environ 75 langues.
À l'âge de 17 ans, il étudia la linguistique à Göttingen. À l'âge de 24 ans, il publia un dictionnaire anglais-turc. Il gagna plus tard sa vie comme conseiller-correspondant pour les langues pour la Société biblique britannique. Il était un partisan des langues minoritaires au sein de l'Empire allemand, notamment sorabe et lituanien. Installé plus tard en Norvège, il s'intéressa de près à la question linguistique norvégienne.
Conformément à l'esprit romantique, Sauerwein croyait que la poésie était ancrée dans la tradition populaire, et qu'une littérature nouvelle pourrait être fondée sur les langues minoritaires.                                                                                            En plus de sa langue maternelle allemande, Sauerwein pouvait lire, écrire et parler environ 75 langues et dialectes:
sanskrit, romani, hindoustani, grec ancien, grec moderne, latin, français, italien, espagnol, portugais, roumain, gallois, cornique, irlandais, gaélique écossais, mannois, anglais, néerlandais, danois, islandais, norvégien, suédois, letton, lituanien, polonais, russe, biélorusse, ukrainien, tchèque, slovaque, bulgare, sorabe, serbe, croate, albanais, arménien, persan, sami, finnois, estonien, hongrois, turc, azéri, tchouvache, l'ouïghour, koumyk, tamoul, géorgien, éthiopien, tigrinya, copte, arabe, hébreu, malgache, malais, samoan, hawaïen, aneityum, chinois et basque.

Antoni Grabowski (1857-1921), d'origine polonaise, fut surnommé le père de la poésie en espéranto. Il commença à s'intéresser à l'espéranto dès la publication de la première méthode d'apprentissage et fut le premier à parler en espéranto avec Zamenhof. Il parlait également parfaitement le volapük et avait déjà rendu visite à son créateur, Johann Martin Schleyer (on raconte que cette visite fut pour lui l'occasion de constater que l'auteur même du volapük ne maîtrisait pas parfaitement cette langue difficile).
Grand polyglotte, il connaissait une trentaine de langues.

Emil Krebs (1867-1930) maîtrisait 68 langues, à l'écrit comme à l'oral, et en a étudié également 120 autres.
À l’âge de 7 ans, Krebs trouva un vieux journal, écrit dans une langue qui lui était inconnue. Son professeur d’école lui dit que c’était un journal français. Par plaisanterie, il lui donna un dictionnaire franco-allemand, que Krebs apprit au bout de quelques mois. Il apprit au collège le français, le latin, le grec, et l’hébreu. Ayant passé son baccalauréat en 1887, il maîtrisait déjà 12 langues (y compris le grec ancien, le néo-grec, le turc, l’arabe, le polonais). À Leipzig, Krebs trouva une annonce du séminaire des Langues orientales de Berlin. On y constata ses aptitudes extraordinaires pour les langues, et à ce moment, il se voua aux langues asiatiques. Il s’enregistra auprès des services diplomatiques.
En 1893, Krebs partit pour l’Extrême-Orient. Il obtint le poste de traducteur à la légation allemande de Pékin. Lors de son voyage vers la Chine, Krebs apprenait toujours les langues étrangères. Au moment où il séjournait en Chine, il en connaissait déjà 40. Les Chinois l’ont appelé le "dictionnaire vivant". En 1914, il déclarait maîtriser 33 langues, dont l’anglais, l’arabe, le bulgare, le chinois (y compris le braille chinois), le tibétain, le croate, le tchèque, le danois, le finnois, le français, le grec, le géorgien, le hindi, l’espagnol, le néerlandais, le japonais, le javanais, le lituanien, le malais, le mandchou, le mongol, le norvégien, l’arménien, le perse, le polonais, le russe, le roumain, le serbe, le siamois, le suédois, le turc, l’ourdou, le hongrois et l’italien, l’égyptien, l’albanais, le basque, le birman, et bien d’autres langues encore. Le sumérien, l’assyrien et le babylonien n’échappèrent pas non plus à son zèle. 
Après qu’en 1917 l’ambassade allemande fut fermée, Krebs se déplaça à l’Agence d’information au sein du Bureau des affaires étrangères. Les employés de cet établissement recevaient une indemnité forfaitaire pour la connaissance des langues étrangères. Krebs signala qu’il maîtrisait plus de 60 langues. Au début, il fut traité de tricheur, mais finalement, après l’avoir prouvé, il reçut l’argent.
Krebs se maria en 19132. Sa femme était indulgente envers le polyglotte qui s’enfermait souvent dans sa chambre et apprenait de nouvelles langues jusque tard dans la nuit.
Après sa mort, plus de 5700 volumes de sa collection en 120 langues ont été transmis à la Bibliothèque du Congrès aux États-Unis.
On sait aujourd’hui qu’il avait une méthode particulière pour apprendre les langues. Il ne les étudiait pas à partir de l’allemand, sa langue maternelle, mais par «paquets» à partir d’une langue intermédiaire. Il s’appropria ainsi l’afghan, le birman, le gujarati, l’hindi, l’irlandais, le cingalais et le portugais à partir de l’anglais, le finnois, le tartare et l’ukrainien à partir du russe, le basque à partir de l’espagnol, etc.
Les diverses sources mentionnent de nombreuses anecdotes sur Krebs :
Après avoir reçu un formulaire du séminaire des Langues orientales de Berlin, Krebs cocha toutes les langues, en ajoutant qu’elles l’intéressaient toutes, et il renvoya le formulaire. Le questionnaire fut réexpédié avec l'indication qu’il n’avait pas compris les instructions: il était censé faire son choix. Il leur répondit, qu’il voulait apprendre toutes les langues. À la deuxième approche, il fut invité à Berlin.
Lorsqu’il travaillait en Chine, il reçut une lettre envoyée par des Mongols, que lui seul savait traduire.
Une certaine tribu mongole lui demanda de traduire des documents historiques écrits en mongol ancien. Krebs accomplit la tâche immédiatement.
Lors de son travail, Krebs croisa un pasteur qui parlait un dialecte chinois qui lui était inconnu. Malgré cela, ils s’entendaient bien.
Un jour, un hebdomadaire basque Argia lui tomba entre les mains. Le journal annonçait la mort en Amérique d’un professeur qui maîtrisait 53 langues. En quelques semaines, Krebs apprit la langue basque et envoya une lettre à Argia qui, de son côté, publia un article sur Krebs intitulé "Jeunes Basques! Prenez exemple sur Emil Krebs!". Krebs maîtrisa aussi quatre dialectes basques.
Pendant une des fêtes Krebs traduisit une citation de Goethe en 40 langues asiatiques (y compris en écriture cunéiforme).

Ahatanhel Krymsky (1871-1942), orientaliste ukrainien et linguiste, était un expert en 34 langues.
Selon certaines sources, il avait des connaissances en 56 langues. Krymsky a contribué à diverses encyclopédies, Brockhaus et la Grande Encyclopédie russe et a écrit de nombreux ouvrages sur l'arabe, l'histoire et la littérature turque, tatare et persane, dont certains étaient des manuels d'avant-garde dans les études orientales russes.

Harold Williams (1876-1928), un journaliste néo-zélandais, parlait 58 langues, et exposa son talent en conversant avec chaque délégué à la Ligue des Nations dans sa langue natale. À la fin de sa vie, il avait étudié la Bible en vingt-six langues, dont le zoulou, le swahili et le haoussa. Dès avant l'entrée au lycée, il avait réussi à apprendre seul le latin, le grec ancien, l'hébreu, le français, l'allemand, l'espagnol, l'italien, le maori, le samoan, le tongien, le fidjien et d'autres langues polynésiennes et mélanésiennes. Il savait également le russe, le polonais, le finnois, le letton, l'estonien, le géorgien et le tatare. À son retour de Russie, il avait appris le japonais, le vieil irlandais, le tagalog, le hongrois, le tchèque, le copte, l'égyptien pharaonique, le hittite, l'albanais, le basque et le chinois. Il maîtrisait les inscriptions cunéiformes et connaissait 12000 caractères chinois.

Harinath De (1877-1911) était un historien indien, érudit, qui devint plus tard le premier bibliothécaire de la Bibliothèque nationale de l'Inde de 1907 à 1911. Au cours de sa courte vie, il appris 34 langues, orientales et occidentales: le chinois, le tibétain, le pali, le sanskrit, le persan, l'arabe, l'anglais, le grec, le latin...
Ses œuvres comprennent 88 volumes sur la littérature, la linguistique et l'hindouisme, et font maintenant partie de la Bibliothèque nationale de l'Inde.

Andrzej Gawroński (1885-1927) est l'auteur du premier manuel polonais de sanscrit et a fondé la société orientale polonaise (1922).
Diplômé en linguistique de l'Université de Lviv et de l'Université de Leipzig, professeur et chef du département de linguistique contrastive à l'Université de Lviv, il a été l'un des plus grands polyglottes polonais. Il savait certainement 60 langues étrangères, mais ses contemporains, amis et scientifiques, ont affirmé qu'il en connaissait bien d'autres. Une fois, constamment importuné sur cette question, Gawroński répondit: «Je peux parler et écrire en 40 langues et comprendre et lire dans environ 100.» Ses connaissances linguistiques s'étendaient à l'Afrique, l'Asie, l'Europe, aux langues modernes et éteintes. Dans sa bibliothèque, il y avait des livres dans des dizaines de langues, et dans la grande majorité d'entre eux, il y avait ses notes en marge, toujours dans la langue dans laquelle le livre avait été écrit.

Le grand voyageur indien Rahul Sankrityayan (1893-1963) a embrassé tour à tour le bouddhisme tibétain puis le socialisme marxiste.
C'était un polyglotte, très versé dans plusieurs langues et dialectes, dont le hindi, le cinghalais, le sanskrit, le pali, le bhojpuri, l'ourdou, le persan, l'arabe, le tamoul, le kannada, le tibétain, le français et le russe. Ses œuvres, totalisant plus de 100 volumes, couvrent une variété de sujets: la sociologie, l'histoire, la philosophie, le bouddhisme, la tibétologie, la lexicographie, la grammaire, le folklore, la science, le théâtre et la politique.
L'un de ses livres les plus célèbres en hindi est "Volga se Ganga"(Un voyage de la Volga au Gange) - une œuvre de fiction historique qui évoque la migration des Aryens des steppes de l'Eurasie depuis les régions autour de la Volga et leur propagation dans la plaine indo-gangétique.
Il a écrit en cinq langues - le hindi, le sanskrit, le bhojpuri, le pali et le tibétain. L'Université de Leningrad le nomma professeur d'indologie en 1937-1938 et de nouveau en 1947-1948. Pendant son second séjour en Union soviétique, ayant accepté une invitation à enseigner le bouddhisme à l'Université de Leningrad, il entra en contact avec le savant mongol Ellena Narvertovna Kozerovskaya (avec qui il eut un fils). Elle pouvait parler français, anglais et russe et écrire le sanskrit. Ils travaillèrent à un dictionnaire tibétain-sanskrit.

Carlo Tagliavini (1903-1982), professeur à l'université de Padoue, membre de 55 académies étrangères, dédia toute sa vie aux langues, tant comme linguiste que polyglotte. À l'âge de 12 ans, il connaissait déjà 7 langues et il affirma par la suite avoir un bon niveau dans 35 langues, en comprendre 120 et avoir étudié des centaines de dialectes. À l'université de Rome, il tint des conférences en 25 langues. Il était notamment spécialiste du roumain, du hongrois, des dialectes tsiganes, du sanscrit.

Le professeur Pent Nurmekund (1906-1996), fondateur du Département d'études orientales à l'Université de Tartu en Estonie, connaissait 70 langues et en parlait 26 (dont le chinois et le yiddish).
Entre 1930 et 1940, il avait appris la quasi-totalité des langues européennes et plusieurs langues d'Asie. Il a affirmé maîtriser le russe, le live, le français, l'anglais, l'allemand, le danois, le suédois, l'espagnol, l'italien, le norvégien, le chinois, le yiddish et le latin, avoir de moindres connaissances en lituanien, letton, tatar, sami, azéri, portugais, roumain, grec moderne, japonais, islandais, féroéen et néerlandais. Il a écrit des articles sur l'égyptien ancien, les langues eskimo-aléoutes, bantoues (swahili, haoussa et wolof), le chinois, l'indonésien et l'alphabet shavien. Il a enseigné le chinois, le japonais, le hindi, l'arabe, le mongol, le vietnamien, l'indonésien, le sanskrit, le bengali, le persan, le géorgien, l'arménien, le turc, l'hébreu, le swahili, le haoussa et l'afrikaans.

Le folkloriste et poète estonien Uku Masing (1909-1985), qui fut professeur de langues sémitiques à l'Université de Tartu, parlait quatre langues à la fin de l'école secondaire et a pu parler à son apogée environ 65 langues avec la capacité de traduire en 20 d'entre elles.

Kató Lomb (1909-2003) a passé la plus grande partie de son temps immergée dans les langues étrangères et est aujourd’hui considérée comme une véritable pionnière dans le domaine de la linguistique. Elle est en effet l’une des premières traductrices de l’histoire à avoir fait de l’interprétation simultanée et a appris environ seize langues au cours de sa vie. Après des études de physique-chimie, Kató Lomb a décidé d’apprendre l’anglais dans l’intention de devenir enseignante. Elle s’est armée d’un manuel et d’un dictionnaire, a lu le plus possible en anglais et a appris sur le tas.
Continuant dans sa lancée, elle s’est ensuite attaquée au bulgare, au roumain, au polonais, au russe, au slovaque, à l’ukrainien, au danois, à l’anglais, au français, à l’allemand, à l’italien, à l’espagnol, à l’hébreu, au latin, au japonais et au chinois.
Dans son ouvrage, rédigé en hongrois (sa langue maternelle) et traduit en anglais sous le titre de This is How I Learn Languages (C’est comme ça que j’apprends les langues), Kató Lomb raconte s’être présentée un jour devant une professeur qui enseignait le polonais à un niveau avancé, lui expliquant qu’elle n’avait strictement aucune notion de cette langue mais qu’elle était profondément désireuse d’apprendre. L’enseignante a été tellement impressionnée par sa détermination, qu’elle l’a invitée à intégrer sa classe.
Kató Lomb est considérée comme l’une des plus prodigieuses polyglottes de l’histoire.

George L. Campbell (1912-2004) a longtemps travaillé à la BBC, et est l'auteur d'un Compendium of the World's Languages (Routledge, 2000). Il a été inscrit dans le Guinness des records au cours des années 1980 comme l'un des plus grands polyglottes du monde, pouvant parler et écrire couramment au moins 44 langues et avec une bonne connaissance de peut-être 20 autres.
Considéré tout au long de sa scolarité comme un cancre à cause de son bégaiement et relégué au fond de la classe, il en a profité pour dévorer des livres de langue. Il a ainsi appris seul l'espagnol et l'italien avant d'apprendre le français et l'allemand à l'école secondaire. Voulant intégrer l'Université d'Édimbourg, et la connaissance d'une langue classique étant nécessaire, il apprit seul le programme de latin de six ans en une année et remporta le prix de l'École latine. À l'Université de Leipzig, il maîtrisa huit autres langues parlées par les étudiants venus à Leipzig d'Europe centrale et orientale. En 1937, il devint bibliothécaire adjoint à l'École d'études slaves. Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939, il fut appelé à l'armée, mais fut immédiatement transféré au BBC World Service en tant que superviseur de la langue.
Il prit sa retraite en 1974 en tant que chef du Service roumain. En retraite, il apprit le chinois, le basque et plusieurs autres langues. Il a traduit des œuvres universitaires, principalement du russe et de l'allemand.

Charles Berlitz (1914-2003), linguiste et professeur de langues américain, connu pour ses ouvrages sur les phénomènes étranges autant que pour ses méthodes de langues et son école, comprenait plus de 30 langues et écrivit des dictionnaires de 24 langues.

Georges Schmidt parlait couramment 19 langues et moins couramment 12 autres. Claude Hagège lui a rendu hommage (Le Monde, 13 avril 1990):
«La mort de Georges Schmidt, un polyglotte d’exception
Georges Schmidt, qui vient de disparaître brutalement à soixante-seize ans, était un homme habité. Autant dire un homme d’une espèce de plus en plus rare. 
Cet Alsacien, né en 1914, qui, enfant, tirait de ses livres d'aventures des listes de termes indiens, trouva aux Langues orientales, l'école qu'il aima toute sa vie, un lieu à sa mesure (il y étudia d'abord brillamment une quinzaine de langues, manière de modeste incipit) et à l'ONU une destination naturelle: il y fut, pendant près de trente ans, traducteur pour soixante-six langues; en 1965, il estimait pouvoir en traduire encore cinquante-deux autres. 
C'est en 1971 que son nom commence de figurer dans Le Guinness comme celui du plus grand polyglotte connu. Il accumula des manuels descriptifs de huit cent vingt-huit langues (nombre probablement jamais atteint par personne au monde [sauf peut-être Minaudier, cf. supra!], qu’il ne cessait de consulter comme d’autres lisent un journal. 
Sa passion de connaître et d’entendre lui fit faire, comme il arrive parfois aux hommes de ce bord, plusieurs tours du monde. Aux cent quarante pays qu'il avait visités, il souhaitait en ajouter quarante autres... 
Claude Hagège»

Georges Kersaudy (1921-2015) a abordé très jeune l'étude de plusieurs langues romanes et germaniques. De 1941 à 1946, il a obtenu à la Sorbonne les diplômes d'allemand, de langue et civilisation américaines, de langues et littératures scandinaves modernes et de philologie roumaine. Durant l'occupation, il a obtenu à l'École nationale des langues orientales vivantes les diplômes de russe, roumain, hongrois et finnois (il y a aussi étudié le turc, le serbocroate, le polonais, et le persan). Grâce à une mémoire très peu ordinaire et à un véritable intérêt pour les langues («Au-dessus de dix, ça devient très facile»), M. Kersaudy a acquis également une bonne connaissance de nombreuses autres langues, qu'il n'a cessé de réapprendre durant les 40 années suivantes, grâce à ses voyages et à la parution de nouvelles méthodes, dont l'Assimil. Le compte définitif est de 56 langues, qu'il maîtrisait toujours à 92 ans. Ses derniers «réapprentissages» concernent l'hébreu, le grec et le chinois, qu'il craignait d'oublier.
Ayant commencé sa carrière au ministère des Affaires étrangères, en poste à Moscou et Belgrade, il est ensuite devenu traducteur aux Nations unies, puis réviseur au Conseil des ministres de l'Union européenne. Il a occupé des postes dans diverses capitales des quatre continents, tout en participant à de nombreuses missions dans le monde entier, et a exercé les fonctions d'expert traducteur pour la Cour d'appel et le tribunal de grande instance de Paris. Il a eu ainsi l'occasion d'établir des traductions et des révisions à titre officiel à partir d'une cinquantaine de langues.

Riccardo Bertani (né en 1930), d'une modeste famille paysanne italienne, ayant quitté très tôt l'école, a consacré sa vie à étudier plus d'une centaine de langues, mortes ou rares. Son père, maire communiste de son village, avait une bibliothèque en russe, ce qui a d'abord excité l'imagination du jeune adolescent, qui a d'abord lu Tolstoï et autres auteurs en italien avant de les aborder, avec l'aide d'une grammaire, dans la version originale. Attiré par la Russie et l'Ukraine, il a passé 18 ans à lire tout ce qu'il pouvait dans les langues de ces deux pays. Puis il a découvert les peuples sibériens et leurs langues, le mongol (il a rédigé un dictionnaire mongol-italien), l'eskimo. Il a encore appris toutes les langues slaves, puis le yakoute, le youkaghir, le routoul (il a écrit le premier dictionnaire routoul -italien avec une annexe sur la comparaison de cet idiome avec le basque), le basque, l'étrusque, le vieux-prussien, le maya, le tehuelche de Patagonie, le lapon, le tatare de la Volga et encore le lombard (il a aussi écrit un dictionnaire de lombard)... Toutefois, il n'est jamais sorti de son village et a toujours refusé les nombreuses invitations qui lui ont été faites de par le monde. Il collabore cependant avec de nombreuses sociétés savantes. Il a même eu une correspondance avec Lévi-Strauss. Il ne connaît pas non plus l'anglais, l'allemand et autres langues modernes!

Francis Sommer (mort en 1978) a grandi à Speyer, en Allemagne, et a passé son enfance à s'amuser à inventer des langues. Encore écolier, il apprit le suédois, le sanskrit et le persan. Au cours d'un voyage en Russie, il apprit toutes les grandes langues européennes. À la fin des années 20, après avoir émigré aux Étas-Unis, où il avait trouvé un emploi de bibliothécaire à la Cleveland public Library, il était réputé connaître 94 langues (dont l'arabe, le chinois et le japonais)!

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Quatre écrivains remarquables doivent encore être mentionnés pour leurs extraordinaires capacités linguistiques.

Le grand écrivain et diplomate brésilien João Guimarães Rosa (1908-1967) a étudié plusieurs langues dès l'enfance, en commençant par le français avant l'âge de sept ans. Il a dit plus tard parler portugais, allemand, français, anglais, espagnol, italien, espéranto, russe, lire suédois, néerlandais, latin et grec (mais avec le dictionnaire juste à côté), comprendre certains dialectes allemands, avoir étudié la grammaire des langues suivantes: hongrois, arabe, sanskrit, lituanien, polonais, tupi, hébreu, japonais, tchèque, finlandais, danois, se débrouiller dans d'autres mais à un niveau très basique. Il a ajouté: «je pense que l'étude de l'esprit et du mécanisme d'autres langues aide à comprendre beaucoup plus profondément la langue nationale [du Brésil]. En général, cependant, j'ai étudié pour le plaisir et la distraction».

Armand Robin (1912-1961) a pour langue maternelle le breton, et n'apprend le français qu'à l'école élémentaire. Devenu polyglotte, il entreprend en 1932 l'étude du russe et du polonais, en 1933 de l'allemand, en 1934 de l'italien, en 1937 de l'hébreu, de l'arabe et de l'espagnol, en 1941 du chinois, en 1942, de l'arabe littéral, en 1943 du finnois, du hongrois et du japonais, etc. Il traduisait encore de l'ourdou, du portugais, du roumain, du suédois, du bulgare, du tchèque, du slovaque, de l'ukrainien, du biélorusse, du serbo-croate, du macédonien, du slovène, du vieux slave, de l'albanais, de l'araméen, de l'arménien, de l'indonésien, du malais, du catalan, de l'estonien, du tchérémisse des plaines, du grec moderne, de l'irlandais, du lituanien, du mongol, du norvégien, du yiddish, de l'espéranto.
Écrivain inclassable, libertaire, poète, il traduit en français, depuis une vingtaine de langues, une centaine d'auteurs, dont Goethe, Achim von Arnim, Gottfried Benn, Max Ernst, Lope de Vega, José Bergamín, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak, Sergueï Essénine, Alexandre Blok, Endre Ady, Giuseppe Ungaretti, Fernando Pessoa, Constantin Cavafy, Adam Mickiewicz, Omar Khayyam, etc.

Richard Burton (1821-1890), dont Borges disait: «Burton rêvait en dix-sept langues et on dit qu’il en parla couramment trente-cinq», n’apprend pas seulement, enfant déjà, vivant en France et en Italie, à la perfection français et italien, mais béarnais à Pau, napolitain à Naples et grec moderne à Marseille. À Oxford il apprend, tout seul, l’arabe. En Inde il se met au hindi, au gujrati, au marathi, au sanscrit, au persan, au turc, plus tard au pachtoun et à d’autres langues persanes. Des rumeurs disent que, pendant sa jeunesse, il eut une liaison avec une jeune Gitane, et qu'il apprit avec elle les rudiments de la langue romani. Certains en ont fait une explication possible de la facilité presque surnaturelle avec laquelle il fut plus tard capable de maîtriser le hindi et d'autres langues indiennes, la langue des Gitans faisant partie de la même famille linguistique. En Afrique il se met aux langues somaliennes et éthiopiennes, au swahili et plus tard aux langues du Bénin et du Dahomey. Plus tard encore, au Brésil et au Paraguay, il perfectionne son espagnol et son portugais (il est le premier à traduire les Lusiades, œuvre fondatrice de la littérature portugaise, en anglais).

On sait peu qu'Arthur Rimbaud (1854-1891), après s'être retiré de l'écriture , étudia de nombreuses langues au cours de ses voyages à travers l'Europe et le Moyen-Orient. Il maîtrisait le latin, le grec ancien et moderne, l'anglais, l'allemand, l'espagnol, l'italien, le russe, le néerlandais, l'arabe, le hindi, l'amharique, et avait une connaissance pratique de plusieurs langues indigènes africaines apprises en Éthiopie.

N'oublions pas Paul Robeson (1898-1976), acteur, athlète, chanteur et écrivain américain (très connu en URSS et détenteur du Prix Staline), qui connaissait 20 langues (dont 12 maîtrisées), parmi lesquelles le russe (qu'il se targue d’avoir appris à parler «en six mois et avec un accent parfait» là où il avait dû batailler pour parler le français et l’allemand), le chinois, l'arabe, le gallois et le yiddish. C’est à Londres qu’il étudia l’histoire et les cultures du continent africain, allant jusqu’à parler une vingtaine de langues africaines, dont une dizaine couramment (swahili, yoruba, efik, asante, etc.).

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Au cours de notre enseignement, nous avons été en contact avec de nombreux élèves bilingues ou parfois multilingues, et voici les langues rencontrées en chemin (par affinités, russe excepté):
italien, espagnol, portugais, moldave;
néerlandais, allemand, anglais, américain, norvégien, suédois;
ukrainien, biélorusse, polonais, tchèque, serbe, macédonien, bulgare;
grec;
albanais;
arménien;
persan;
arabe (libanais, tunisien, marocain, algérien), hébreu;
turc, kazakh;
géorgien, tchétchène;
hongrois, finnois;
chinois;
japonais;
vietnamien, khmer;
évenki;
kikongo;
malgache;
créole antillais.

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Et comme tout prend sa source dans l'enfance, je citerai plusieurs sources qui ont stimulé ma passion pour les idiomes:
les unes, académiques: le célèbre dictionnaire de Robert Grandsaignes d'Hauterive, reçu à Noël 1976; la fabuleuse  encyclopédie des langues du monde (dirigée par Meillet), autre cadeau d'anniversaire; un livre sur le peuple hunza et sa fabuleuse langue, le bourouchaski, qui fut offert dans sa jeunesse à ma mère par sa correspondante anglaise, et dont j'héritai; un ouvrage (controversé) du cheikh Anta Diop sur la parenté des langues négro-africaines et de l'égyptien pharaonique; une grammaire du kasséna; les opuscules de l'éditeur polygraphe Joseph Biddulph, et notamment par son introduction au bochiman!; une méthode de tahitien; la somme de Maurice Leenhardt sur les langues de l'Austro-Mélanésie, tous ouvrages dénichés dans une grande librairie parisienne qui recela jadis des trésors; un livre sur les langues d'URSS, découvert au lycée; et un joli fichier des éditions Atlas sur les peuples et les langues qui me fit voyager;











l'autre, plus populaire, en la figure du cuisinier polyglotte japonais, protagoniste des aventures du célèbre magicien Mandrake qui inspira un temps Fellini.




Pour rester dans la bédé, comment ne pas évoquer les Schtroumpfs et leur langue saugrenue (mais logique!)


















ou les aventures de Tintin, riches en références linguistiques, réelles ou imaginaires (ainsi l'arumbaya et le syldave, à base de parler bruxellois)!




C'est encore dans certains magazines pour la jeunesse que je collectionnais des informations qui piquaient ma curiosité de glottophile en herbe.




Mais je pourrais aussi citer les "héros" de deux célèbres comédies musicales ayant les langues pour sujet principal, tous deux joués par le grand Rex Harrison: le professeur Higgins de "My fair lady" et le célèbre docteur Dolittle, qui parle aux animaux!





Sans oublier les robots polyglottes de "Planète interdite" et de "La guerre des étoiles" ou le klingon de Star Trek!






Et, dans ce domaine des langues imaginaires, comment ne pas citer le génial Tolkien et ses langues elfiques?
Peut-être le plus célèbre d’entre tous les polyglottes. J.R.R. Tolkien est célèbre pour avoir inventé des langues imaginaires pratiquées par les personnages de ses livres, telles que les langues elfiques de la Terre du Milieu. Lorsqu’on lit Le Seigneur des Anneaux ou Le Hobbit, on pourrait croire de prime abord qu’il ne s’agit là que de mots jetés au hasard. En réalité, ces langues fictives possèdent une grammaire et un lexique propres, comparables à ceux de langues véritablement parlées, bien que leur vocabulaire soit moins étendu.
Pour Tolkien, tout a commencé pendant l’enfance. Sa mère lui enseigna le latin, le français et l’allemand, éveillant chez le jeune garçon une véritable passion pour les langues étrangères, qu’il continua à apprendre en autodidacte tout au long de sa vie. Sa langue préférée était le finlandais, qu’il découvrit dans un manuel de grammaire. Il décrivit plus tard cet évènement comme «la découverte d’une cave débordante de bouteilles d’un vin extraordinaire, aux saveurs entièrement nouvelles.» C’est justement le finlandais qui lui servit de modèle pour la construction du quenya, une langue du haut-elfique. Quant au sindarin (ou gris-elfique), l’une des langues les plus complexes inventées par Tolkien, il a été inspiré par le gallois.
Tolkien s’initia à l’art de la «glossopoeia» (littéralement, la «fabrique d’un langage») à l’adolescence, lorsqu’il inventa l’animalique et le nevbosh avec sa cousine Mary Incledon. Cet univers linguistique imaginaire fut complété par la suite par le noldorin, l’eldarin commun, le naffarin, le quenya et sindarin (mentionnés plus haut), le goldogrin, le noldorin, le telerin, l’ilkorin, le doriathrin, l’avarin, le rohirric et l’adunaic. En plus des langues vivantes déjà citées, l’auteur fut également inspiré par le grec, le moyen et le vieil anglais, le gothique, le vieux norrois, l’italien et l’espagnol.
Plus que la grammaire et la tonalité des langues qu’il a apprises, ce sont le monde, l’évolution et l’histoire que chacune d’entre elles renferme qui ont fasciné Tolkien. Il était convaincu qu’il ne fallait pas apprendre une langue dans le but de la pratiquer, mais plutôt pour elle-même. Ceci explique sa propre passion non seulement pour les langues existantes et leurs origines, mais aussi pour la construction de langues fictives, une activité dans laquelle il s’est montré particulièrement prolifique.
Tolkien étudia la philologie comparative à l’université d’Oxford puis débuta sa carrière comme professeur d’anglais à l’université de Leeds, en 1925. Il enseigna principalement le moyen et le vieil anglais ainsi que l’histoire de la langue. Toute sa vie, il conserva des habitudes simples, voyageant peu (hormis dans son propre univers imaginaire), ne quittant que rarement Oxford, sa ville adoptive, n’utilisant quasiment jamais les langues qu’il avait apprises (ou inventées) dans la vie réelle avec d’autres personnes. Il concevait les langues comme une richesse en soi, sans nécessairement ressentir le besoin de les utiliser pour communiquer et d’en retirer d’autre bénéfice que celui du pur plaisir d’apprendre.




Les langues inventées (à but politique, philosophique ou poétique, parfois aux limites de la folie) constituent d'ailleurs un monde fascinant.



Selon les sources, il aurait maîtrisé de 40 à 89 langues avant de créer le volapük.


La polyglossie, une addiction?

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